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Le vrai courage


(par Miyamoto MUSASHI)

Beaucoup ont lu ou entendu le fameux principe - "Le vrai courage est de faire ce qui est juste". Mais comment savoir distinguer entre deux notions éminemment subjectives - le juste et le faux ?

Ambiguïté ou dualité ?

Si l'on se réfère aux ouvrages de référence traitant des mots et de leur contraire, on pourra voir que "juste" s'oppose principalement à "faux" mais aussi à "injuste". Or, "faux" étant opposé à "vrai", on voit que la notion de Justice se voudrait logiquement assez proche de celle de Vérité.

Malheureusement, là encore, la subjectivité du terme est totale. Elle est avant tout liée au contexte de référence auquel on se soumet, sous un angle culturel, social, juridique ou même religieux. Ce qui semblera "juste" à l'un pourra au contraire paraître excessif, voire abusif à un autre.

La référence martiale

Si l'on se tourne vers les époques qui nous ont précédé, en particulier vers l'ère féodale du Japon, la notion de courage est beaucoup plus subtile, car la notion de vie et de mort prenait un sens tout à fait relatif. Si, aujourd'hui, l'atmosphère grandissante d'insécurité menace nos biens et nos personnes, la véritable crainte des guerriers féodaux des 15ème ou 16ème siècles était de perdre leur pouvoir, leurs privilèges, leur dignité, leur honneur.

Les combats singuliers entre samouraïs étaient une apothéose dans laquelle, sans haine réciproque ni conflit matérialisé, la mort de l'un des combattants était la seule issue possible, il fallait vaincre ou mourir. Mourir - davantage pour ne pas survivre à une défaite dans le déshonneur, qui était bien pire que la mort, laquelle, en fait représentait un aboutissement pour l'âme "martiale" du guerrier.

Sans peur et sans reproche

C'est ainsi qu'était nommé le chevalier Bayard, que tous nos écoliers connaissent dès les premières classes. Mais peut-on parler de courage lorsqu'on ne connaît pas vraiment la peur ? Le vrai courage ne peut-il pas plutôt être démontré lorsqu'il s'agit de surmonter sa peur pour faire alors ce "qui est juste" ?

L'absence de peur peut être due à diverses raisons, en fait toutes aussi pathologiques et éloignées du courage les unes que les autres. Nous avons d'abord l'inconscience, qui occulte complètement la notion de danger et fait foncer tout droit avec une absence tragique d'élémentaire lucidité, sans même imaginer que l'on puisse encourir un risque quelconque.

Ensuite, toutes les formes de pathologies psychiques, comme la schizophrénie, la mythomanie et d'autres, rendent redoutables un agresseur éventuel, car, comme le soulignait un de mes Seniors, un fou ne connaît aucune inhibition et ne craint rien, même pas la mort. Un alcoolique ou un toxicomane en état de manque peuvent constituer une menace extrême, n'obéissant plus à aucune logique rationnelle, ni même émotionnelle.

Nous placerons en dernier lieu, car relevant de l'attitude la plus méprisable, l'ego et l'orgueil démesurés de celui qui pense en toute confiance être le plus fort et, de ce fait, pense pouvoir dicter sa loi sans encourir de danger. Ceci est justement l'antithèse du courage car, de deux choses l'une : ou bien on est inconscient ou suicidaire, ou bien on est "sûr de soi et de son coup" et on tombe justement à l'opposé - la complète lâcheté, dans la certitude que l'on a d'une issue favorable et sans douleur d'une confrontation.

L'ultime Vérité

Il faut bien comprendre qu'aucun affrontement "conventionnel", quel qu'il soit, ne pourra rien démontrer à moins d'être placé dans une situation extrême de légitime défense pour sa propre survie. On peut admettre qu'il existe des altercations "à chaud" sous le coup de la colère, de la jalousie, etc., mais on peut plus difficilement comprendre que puissent exister des provocations ou des défis imbéciles qui ne prouvent rien d'autre que l'immaturité intellectuelle et le propre sentiment d'insécurité et de faiblesse de leurs auteurs.

En Extrême-Orient, on parlait par exemple de ces guerres intestines entre Dojos ou Ecoles, dans lesquelles des défis étaient mutuellement lancés entre des instructeurs, dans le but avéré de démontrer aux pratiquants la suprématie et l'efficacité de leur enseignement sur celui des autres, et la finalité étant de "récupérer" les élèves du perdant. Ceci doit être replacé dans le contexte de la culture ancestrale de ces pays, descendant de la philosophie des Shoguns et Samouraïs. Les affrontements, bien que violents et parfois mortels, avaient lieu sans aucune haine ni animosité entre les protagonistes, encore moins sans souci d'ordre matériel. Il arrivait même que le "vaincu" puisse sauver naturellement son honneur sans démériter en demandant au vainqueur de l'accepter comme élève !

Ici et maintenant...

Chez nous et aujourd'hui, en revanche, il deviendrait grotesque et infantile de raisonner de cette manière. Outre le contexte social et juridique qui nous régit, le sens éthique qui devrait prévaloir nous poussera plutôt à ignorer toute forme de provocation, d'injure ou de défi, tout en étant prêt à répondre sans limites à une agression délibérée si elle devait avoir lieu.

La vraie lâcheté n'est-elle pas d'en accuser et de provoquer ceux dont on sait que, par leur éthique ou par principes acquis, on a a priori rien à craindre car ils voudront au contraire jusqu'au bout éviter un affrontement stupide et vain pour les deux camps ?

Un défi ne peut obéir qu'à des règles implicites, les limites tacites de l'affrontement rendant celui-ci sans aucune portée ni crédibilité, alors que seule la légitime défense permet une réponse - en principe légalement "proportionnée" - mais en fait aussi extrême et totale que possible, dans l'incertitude potentielle devant le type d'agression.

"Si tu veux la paix, prépare la guerre"...?

Cette traduction d'une formule latine doit trouver chez nous la signification suivante : plus nous nous sentirons forts, physiquement, techniquement et surtout mentalement, mieux nous saurons gérer une situation de défi ou d'insécurité. Pour cela, donnons le maximum à l'entraînement, avec "sincérité et droiture", ainsi que le préconise Maître OHSHIMA. Toutes les formes de Kumite - Sanbon, Ippon, Jiyu Ippon, et enfin et sutout Ju Kumite, sont à notre disposition pour nous forger ces armes qui nous garantiront la paix en toute circonstance.

Au fait, proposons-nous juste cette réflexion, qu'est-ce qui est le plus efficace - "Go No Sen" ou "Irimi Taï Sabaki" ?

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