DOSSIERS TECHNIQUES
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La ligne droite est bien le chemin le plus court

Revenons toujours et encore aux bases

Lorsque vous avez participé à votre première séance d'initiation, il est fort probable que vous avez, deux heures durant, aligné les postures Zen Kutsu Dachi, en déplacement avant et arrière, et peut-être aussi en Ko Kutsu. Est-ce seulement le fait d'une habitude dans la majorité des enseignements, ou y a-t-il quelque chose de plus subtil ?

On pourrait en effet préférer introduire d'entrée les techniques de bras et de jambes en partant de l'attitude naturelle (Shizen Taï), voire de faire pratiquer quelques dégagements de type "Karaté Jutsu" pour illustrer des blocages de bras, ce qui serait sans doute plus ludique et moins frustrant pour le néophyte.

Certes, mais il se trouve, comme pour beaucoup d'autres choses, que tout commence et finit par les éléments les plus fondamentaux, et parmi ceux-ci, postures et déplacements sont peut-être les plus essentiels. En effet, en premier lieu, il ne peut y avoir de vitesse dans l'exécution globale, si le geste technique, qu'il soit offensif ou défensif, n'est pas accompagné d'un déplacement fluide et maîtrisé. Et dans le vocable "défensif", nous incluerons bien évidemment l'esquive, qui est primordiale dans la recherche de l'avantage en combat et du contrôle de l'adversaire par la gestion du "Ma-Aï".

En outre, pour créer les conditions d'une efficacité maximale, la libération globale de l'énergie doit se produire en phase avec le mouvement, donc dans l'axe du déplacement, ou, tout au moins, de l'affermissement de la posture.

Ligne droite ou brisée ?

Lorsqu'on raisonne sur un seul pas, par exemple en Ippon Kumité ou Jiyu Ippon Kumité, voire en Iaï, il semble évident de dire que le déplacement se fait en ligne droite, à savoir vers le point visé ou, en défense, aussi bien en contrant qu'en reculant ou esquivant dans toutes les directions les plus opportunes.

Mais, déjà à ce stade, existe le risque de non-coïncidence entre l'axe du mouvement (déplacement du centre de gravité du corps) et l'axe de développement de la technique. Pour illustrer ce propos et faciliter la compréhension, nous nous limiterons dans un premier temps, aux techniques "non circulaires", comme par exemple Oï Tsuki, Gyaku Tsuki, Mae Geri, etc.

Pour produire un effet optimal, il est essentiel que le mouvement de la main ou du pied soit rigoureusement dans l'axe du déplacement, afin que les vitesses corps-hanches-membre s'ajoutent. Pour les apprentis physiciens, ceci est aisément démontré par la définition de l'énergie cinétique, qui est proportionelle au carré de la vitesse d'une masse en déplacement.

La Fig.1 illustre ce principe : pour une distance globale identique (AB + BC), le déplacement résultant (AC) en Zen Kutsu ainsi que la vitesse sont supérieurs dans le schéma II par rapport au schéma I, en remarquant également au passage la légère différence d'angle des axes résultants dans la direction de la cible :

Fig. 1

Fig.1

En noir, nous avons la position initiale des pieds, en rouge la position finale. On fera aussi l'hypothèse que la position intermédiaire (en gris) reste "dynamique", c'est-à-dire sans temps d'arrêt, sinon le déplacement résultant sera suivant BC, donc franchement de travers par rapport à la cible.

Si maintenant, on ne pense plus "un seul pas", mais plusieurs, il y a deux cas de figure. Le premier est celui de la "poursuite" en ligne droite, comme en Kendo, où on recherche le débordement. Dans ce cas, il est nécessaire de maintenir une trajectoire rectiligne au possible, sans zigzags ni ondulations, lesquels feraient perdre à la fois de la vitesse et du pouvoir de pénétration. Le deuxième cas de figure est celui d'un Gohon ou Sanbon Kumité par exemple, dans lequel Uke sort constamment de l'axe de l'attaque, obligeant Tori à se repositionner chaque fois pour relancer une nouvelle attaque. C'est ce repositionnement qui conditionne la qualité de l'assaut, toute attaque engagée hors de l'axe étant par nature inefficace, même si, dans une illusion de vitesse, on arrive à toucher l'adversaire d'une façon ou d'une autre.

N'oublions pas la 3ème dimension !

Notre espace n'est pas plat, il comporte trois dimensions. S'il est important d'être attentif aux lignes droites dans le plan du déplacement, il ne faut pas oublier celles du plan vertical. Ceci consisterait à négliger le fait de "monter et descendre" au cours des déplacements, pour des raisons très variées. La première est tout simplement le fait de céder plus ou moins consciemment à la facilité, en soulageant la posture et relâchant les muscles mis en oeuvre. La deuxième est provoquée par une technique insuffisante, tant au niveau des transferts de poids, que de la sollicitation juste des groupes musculaires concernés au bon moment, ou encore et surtout de la limitation articulaire (principalement de la flexion des chevilles), que l'on ne résout pas par une ouverture des hanches appropriée.

Dans ce cas, non seulement les principes précédents s'appliquent, à savoir que le déplacement global se fait en "montagnes russes" ou "serpent de mer", mais une autre formule de physique nous indique une déperdition inutile d'énergie, proportionnelle à l'amplitude de l'élévation et au freinage en redescente de la masse de notre corps.

La Fig.2 prend l'exemple d'un déplacement avec Oï Tsuki, montrant une position intermédiaire avec élévation du centre de gravité lors de la transition :



Fig.2

Pour plus de clarté, les postures successives sont décalées, en réalité le triangle formé par les lignes et points de couleur est moins aplati. Ce triangle mesure la déperdition d'énergie au cours du déplacement. De même ici, si la dynamique est insuffisante, l'axe de l'impact sera descendant (flèche bleue) et non plus dans le déplacement du centre de gravité du corps (axe rouge).

Pour donner une idée, et sans parler de l'efficacité ni de la qualité produites, celui qui maîtrise correctement les déplacements en Kiba Dachi dans les Kata Tekki en maintenant l'horizontale "rentabilisera" son énergie 2 à 3 fois mieux que celui qui va "faire l'ascenseur" en permanence. Et il est trompeur en fait de croire que les efforts musculaires seront supérieurs en maintenant la posture juste, dès lors que sont éliminées les tensions parasites.

Et le circulaire alors ?

Paradoxalement, le raisonnement précédent peut encore s'appliquer, ceci au prix d'une légère adaptation. D'abord, s'il y a déplacement préalable, il doit se faire en ligne droite, soit en avançant directement vers l'adversaire, soit en s'excentrant volontairement. Ensuite, l'engagement du corps, en connexion avec les hanches doit être global, afin que la technique circulaire soit appliquée exactement suivant la tangente du cercle de la trajectoire. Ce qui veut dire qu'il ne faut pas panacher le circulaire avec du "longitudinal", Un Mawashi Geri ou un Mikazuki Geri devant bien rester le fruit d'une rotation et non pas d'une rotation + translation, ce qui affaiblirait en réalité la technique considérée.

Restons "droit" ...

Sans entrer dans trop de mysticisme, soyons tout de même conscients que le fait "d'entrer droit", de se "tenir droit", bref "d'aller droit", est peut-être quelque part le signe de "penser droit". Ce que nous recherchons n'est-il pas, après tout, d'aller tout droit vers nous-mêmes, sans tricherie ni faiblesse, afin de pouvoir ensuite aller plus droit vers les autres, avec sincérité, assurance et empathie ?

Tout ceci n'empêchant pas, bien au contraire, de ne pas céder aux idées trop bien arrêtées, aux préjugés, à une ouverture d'esprit insuffisante, mais de faire preuve de circonspection et de diplomatie en toutes situations. Après tout, la "bande avant" fait aussi partie intégrante du billard...

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