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Le secret est dans le relâchement |
Quelques observations préalables... Dans nombre d'écoles, qu'elles soient d'ailleurs Shotokan ou non, on prône le fameux "Kime" en tant qu'aboutissement suprême de la technique et manifestation paroxystique de l'efficacité legendaire du Karaté. Il est certes essentiel de réaliser cette forme d'union entre le corps et l'esprit, appelée aussi "Ki-Aï" (littéralement "union des énergies"), pour que le geste soit à la fois pureté, force, puissance, etc. Ce Kiaï en est d'ailleurs l'expression sonore, expression que l'on voudrait voir naturelle, c'est-à-dire qu'elle ne soit pas l'effet d'une volonté consciente mais de la seule respiration. Malheureusement, cette notion de "Kime" est très vite assimilée superficiellement à une forme de contraction extrême des muscles du corps, que l'on justifie par des explications peu claires sur des mécanismes d'ondes de choc en retour, etc., et que les pratiquants prennent trop vite au pied de la lettre, cultivant ainsi non seulement des erreurs quant au résultat que l'on voudrait obtenir, mais encore faisant le lit de problèmes physiques importants qui se révèleront irrémédiablement plus ou moins tard. Il est illusoire de "décider" La principale erreur que l'on commet en général est d'effectuer chaque technique comme si l'impact présumé se trouvait complètement au bout de celle-ci. Ceci est particulièrement flagrant quand on voit travailler des pratiquants dont les attaques (aussi bien que les contre-attaques d'ailleurs) aboutissent plus ou moins largement hors distance de la cible constituée par leur partenaire. On en vient à complètement confondre les notions de "contrôle" avec celles de techniques inabouties, les deux pouvant effectivement s'arrêter aussi près que possible, mais, pour ces dernières, ne pouvant être prolongées s'il fallait qu'elles soient vraiment portantes. La raison majeure de ceci est que l'on travaille à tort avec la sensation de frapper une surface, alors qu'il faudrait en réalité visualiser un volume à traverser. Ceci est très différent : dans le premier cas, on décide a priori du fait que la distance est parfaitement fixée, c'est la distance "à bout de technique" à quelques millimètres près. Dans le deuxième, en revanche, l'impact peut se trouver n'importe où dans un espace beaucoup plus large, même si la technique n'est pas complètement développée. Et ceci a comme conséquence immédiate qu'il n'est plus possible de décider du moment précis où devra avoir lieu le "Kime", mais qu'il faudra s'y prendre autrement pour que ce "Kime" soit naturellement présent lorsque l'impact surviendra. On peut prendre l'exemple du tir, que ce soit au fusil, à l'arc, etc., où on dit toujours qu'il ne faut pas décider de tirer, mais "être surpris" par le départ du coup. Seuls doivent compter la concentration, la respiration et, enfin et surtout, le relâchement. Toujours la vitesse... Le relâchement physique est le garant d'un facteur fondamental : la vitesse. D'une part, il faut être rapide pour que la technique ait une chance d'atteindre l'adversaire avant qu'il ne l'esquive ou ne vous atteigne en anticipant. D'autre part, l'efficacité est liée au carré de la vitesse, laquelle, combinée à la masse, détermine l'énergie transmise. Le fait de contracter une chaîne musculaire a pour conséquence de ralentir celle-ci par le jeu des muscles agonistes et antagonistes, c'est comme si on se freinait d'un côté en cherchant à aller plus vite de l'autre. Et, à l'arrivée, de deux choses l'une : ou bien il n'y a pas d'impact (esquive de l'adversaire, etc.), et il est parfaitement inutile de contracter quoi que ce soit, ou bien impact il y a eu, mais alors a-t-on seulement eu le temps de décider de contracter quelque chose en quelques millièmes de seconde ? C'est simple - il suffit de respirer Le secret réside donc dans deux points. Le premier est de posséder une qualité de posture et de technique suffisante pour que, tout au long du développement du geste, un impact puisse être efficace et que nous ne risquions nous-mêmes aucune blessure par le fait d'un mauvais placement de nos segments et de nos articulations. Le second est de charger notre respiration du principal travail, pour que seule cette respiration entretienne constamment notre potentiel de "Kime", et porte la technique jusqu'à son aboutissement. Un double investissement pour l'avenir Prenons l'habitude, que ce soit en Kihon ou en Kumite conventionnel, de "voir" l'impact au-delà de la cible physique ou imaginaire, et de ne pas volontairement "bloquer" la technique, mais au contraire de la laisser "filer" jusqu'à ce que la complète expiration décide de sa fin. Tant pis si le kimono "claque" moins (et encore...), si notre allure physique nous donne l'air moins déterminé - en apparence, si tant est que l'important n'est pas le "paraître" mais la valeur du résultat produit par notre entraînement. Et nous pourrons vite vérifier que, non seulement notre efficacité n'est pas moindre, bien au contraire, mais que notre corps se débarasse de tensions négatives, et nous procure cette sensation de fatigue "saine", même après des heures d'entraînement et d'efforts extrêmes. Pensons que nous investissons alors dans une longue vie de pratique, dont les effets bénéfiques deviendront tangibles dans dix, vingt ou trente ans. A l'inverse, si nous persistons à nous raidir, à "encaisser" des chocs en retour à chaque pas en Kihon, c'est comme si nous nous détruisions nous-mêmes à petit feu. Ne soyons alors pas surpris si des douleurs s'installent dans nos genoux, nos épaules, notre dos, et nous élèvent des handicaps pour continuer de nous entraîner avec le même plaisir et la même fluidité. Aurons-nous alors une pensée tardive pour R. Kipling et son célèbre : "Homme, qu'as-tu fait de ton corps ?"... |
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